Un avocat fait des déclarations avec vigueur devant la presse, suite à une décision défavorable de la justice envers son client. Peut-être avec un peu trop de vigueur, selon le Parquet, qui demande à ce que l’avocat fasse l’objet d’une sanction… A tort, répond l’avocat qui fait valoir sa liberté d’expression…
Avocats : défendre (avec vigueur) son client devant les médias, (im)possible ?
Un avocat est chargé de défendre les intérêts d’un particulier, d’origine étrangère, dont le fils a été tué par un gendarme à la suite d’une course poursuite. La Cour d’assises décide d’acquitter le gendarme.
Mécontent, l’avocat quitte la salle d’audience et se rend devant les médias : il explique alors que l’acquittement n’est pas une surprise dans la mesure où son client et son fils tué sont d’origine étrangère et le jury est « un jury blanc, exclusivement blanc, où les communautés ne sont pas toutes représentées ».
Le Parquet réclame alors et obtient une sanction disciplinaire à l’encontre de l’avocat pour manquement à la délicatesse et à la modération.
L’avocat estime toutefois que cette condamnation viole sa liberté d’expression et va se défendre jusque devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
La CEDH rappelle alors qu’il faut distinguer si les propos litigieux sont des « faits d’audience » ou non, car, pour les faits d’audience, intervenus dans la salle d’audience, l’avocat bénéficie d’une immunité judiciaire.
La CEDH relève alors que l’avocat, lorsqu’il a tenu les propos litigieux, avait quitté la salle d’audience. Même, s’il se trouvait encore dans l’enceinte du Tribunal, il ne lui est pas possible de bénéficier de cette immunité.
La CEDH rappelle ensuite qu’un avocat peut poursuivre la défense de son client, hors du prétoire et devant les médias, si les conditions suivantes sont remplies :
- les propos ne doivent pas constituer des attaques gravement préjudiciables à l’action des tribunaux ;
- l’avocat doit s’exprimer dans le cadre d’un débat d’intérêt général relatif au fonctionnement de la justice et dans le cadre d’une procédure qui suscite l’intérêt des médias et du public ;
- l’avocat ne dépasse pas le commentaire admissible sans solide base factuelle ;
- l’avocat doit avoir exercé les voies de recours disponibles dans l’intérêt de son client.
Or, il apparaît que l’avocat respecte ici tous les critères précités. Pour la CEDH, les propos de l’avocat ne ciblent pas un juré en particulier, mais visent à ouvrir le débat sur la nécessité d’un jury diversifié. Les propos sont donc plus une critique générale du fonctionnement de la justice pénale et des rapports sociaux en France qu’une attaque injurieuse à l’encontre du jury qui a acquitté le gendarme.
En outre, la CEDH relève que les propos de l’avocat participent à sa mission de défense des intérêts de son client. Ce dernier, en tant que partie civile, ne pouvait pas faire appel de la décision. Les propos avaient ici pour but d’amener le Procureur à faire appel de la décision.
Pour la CEDH, la sanction infligée à l’avocat, même s’il s’agit de la plus faible des sanctions possibles, viole la liberté d’expression de l’avocat.
Source : Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, du 19 avril 2018, n° 41841/12