La Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Loi Alimentation », revoit les relations commerciales entre les exploitants agricoles et leurs différents cocontractants. Voici un panorama des principales mesures que vous devez connaître…
Loi Alimentation : ce qui change en matière de contractualisation des relations agricoles
Depuis le 29 juillet 2010 et la disparation des mécanismes de gestion de marché qui procuraient aux acteurs du monde agricole de la visibilité et une certaine stabilité des prix, la contractualisation des relations s’est développée pour sécuriser dans la durée l’approvisionnement des acheteurs en produits agricoles.
Les acheteurs concernés par la contractualisation des relations avec les producteurs sont aussi bien ceux qui destinent les produits agricoles à la revente (distributeurs et grossistes) que ceux qui les destinent à la transformation (industriels). Ne sont donc pas concernés par la contractualisation, par exemple, les ventes directes aux consommateurs et les cessions aux associations caritatives préparant des repas destinés aux personnes défavorisées.
La contractualisation a été rendue obligatoire dans certaines filières agricoles soit par des textes légaux, soit par des accords interprofessionnels qui ont élaboré des contrats-types dans certaines filières agricoles.
Un renversement d’initiative de la conclusion du contrat
Jusqu’à présent, l’initiative de la contractualisation des relations appartenait aux acheteurs. Estimant que cela mettait les acheteurs en position de force durant les négociations, la Loi Alimentation renverse cette logique : la proposition de contrat écrit émane désormais du producteur lorsque la conclusion d’un contrat est obligatoire.
Dans les filières où la contractualisation n’est pas obligatoire, un producteur peut exiger de l’acheteur qu’il lui fasse une offre de contrat écrit.
Un producteur peut donner mandat à une organisation de producteurs (OP) ou une association d’organisation de producteurs (AOP) pour négocier la commercialisation de ses produits et la signature d’un contrat. Ce contrat doit respecter les clauses de l’accord-cadre conclu entre les OP ou les AOP avec les organisations représentatives d’acheteurs. Désormais, c’est à l’OP ou à l’AOP qu’il reviendra de proposer la conclusion d’un accord-cadre.
Lorsque l’acheteur refuse de conclure un contrat ou émet des réserves, il doit le justifier et en faire part au producteur (ou à l’OP ou l’AOP, en cas de mandat) dans un délai raisonnable.
Une modification du contenu obligatoire du contrat
Le contenu obligatoire du contrat est légèrement modifié. Ainsi, à l’avenir, la clause relative aux modalités de révision et de résiliation du contrat devra porter sur les délais de préavis et l’indemnité éventuellement due en cas de résiliation du contrat, notamment lorsque la résiliation est motivée par une modification du mode de production, comme le passage à une agriculture biologique.
Autre modification : les indicateurs permettant de déterminer les prix devront prendre en compte les coûts de production et l’évolution de ces coûts de production, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant.
Ces indicateurs seront élaborés et diffusés par les organisations interprofessionnelles. Le cas échéant, les organisations interprofessionnelles pourront s’appuyer sur l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) ou sur FranceAgriMer.
Le mandat de facturation
La nouvelle réglementation prévoit qu’un producteur ne pourra donner un mandat de facturation qu’à l’OP ou l’AOP qui commercialise ses produits. En outre, désormais, l’établissement de la facturation doit faire l’objet d’un mandat écrit distinct du contrat de commercialisation.
Loi Alimentation : ce qui change en matière de sanction
Le montant des sanctions
Jusqu’à présent, le non-respect de la réglementation relative aux obligations contractuelles agricoles par un acheteur était sanctionné par une amende de 75 000 € par producteur ou par OP ou AOP avec lequel la réglementation n’était pas respectée.
Comme la logique de l’initiative de la contractualisation est modifiée, un producteur pourra désormais également être sanctionné.
Le montant de l’amende n’est plus limité à 75 000 € mais à :
- 2 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos, pour un producteur ou un acheteur ;
- 2 % du chiffre d’affaires agrégé de l’ensemble des producteurs dont elle commercialise un produit, pour une OP ou une AOP.
Le pouvoir de sanction étendu
Jusqu’à présent, il revenait aux agents de la DGCCRF de constater les manquements aux obligations contractuelles agricoles.
La Loi Alimentation permet au Gouvernement d’étendre, dans un Décret à venir, ce pouvoir de constatation des infractions aux agents de FranceAgriMer.
En outre, désormais, les agents de la DGCCRF ou de FranceAgriMer auront un pouvoir d’injonction : ils pourront, en effet, après une procédure contradictoire, enjoindre l’auteur de l’infraction de se conformer à ses obligations dans un délai raisonnable ne pouvant pas excéder 3 mois, avant de transmettre le procès-verbal d’infraction à l’autorité administrative compétente.
L’obligation de dépôt des comptes annuels au greffe du Tribunal de commerce
Jusqu’à présent, seules les sociétés commerciales transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires avaient l’obligation de déposer leurs comptes annuels au greffe du Tribunal de commerce.
Désormais, les sociétés commerciales exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprise de commerce de détail sont aussi concernées par cette obligation.
En cas de non-respect répété de cette obligation, le président du Tribunal de commerce peut adresser à la société en infraction une injonction de procéder à ce dépôt à bref délai sous astreinte. Le montant de cette astreinte ne peut pas excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction.
Loi Alimentation : ce qui change en matière de médiation
Les pouvoirs du médiateur des relations commerciales agricoles sont élargis. Ainsi, il pourra désormais demander aux parties de lui communiquer tout élément nécessaire à la médiation.
Il peut aussi recommander la suppression ou la modification des projets d’accord-cadre dont il estime qu’ils présentent un caractère abusif ou manifestement déséquilibré en faveur d’une partie.
Alors qu’il pouvait émettre un avis sur toute question transversale relative aux relations contractuelles, à la demande d’une organisation interprofessionnelle, il pourra désormais le faire de sa propre initiative.
La médiation ne pourra plus excéder un mois, renouvelable une fois, sous réserve de l’accord des parties. Jusqu’à présent, la durée de la médiation était librement déterminée par les parties.
En outre, le recours à la médiation sera obligatoire, avant d’aller en justice, sauf si le contrat prévoit un autre dispositif de médiation ou un recours à l’arbitrage.
Enfin, le médiateur pourra rendre public les conclusions de ses travaux (en application du principe du « Name and Shame »). Dans le cadre des litiges relatifs aux contrats de vente, il devra en informer préalablement les parties.
Loi Alimentation : création d’une convention interprofessionnelle alimentaire territoriale
La Loi Alimentation crée la convention interprofessionnelle alimentaire territoriale. Ce contrat lie une coopérative ou une organisation de producteurs, un ou plusieurs transformateurs et un distributeur. Ce contrat est conclu pour une durée minimum de 3 ans et définit notamment :
- les prix de cession des produits ainsi que les modalités d’évolution de ces prix ;
- les délais de paiement ;
- les conditions de répartition de la valeur ajoutée de la production alimentaire au sein du territoire délimité par la convention ;
- les conditions environnementales, sanitaires et sociales de la production.
Ce contrat est une reconnaissance légale des conventions tripartites qui existent déjà en pratique. Ils permettent d’assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs du secteur agricole.
En reconnaissant légalement ces contrats, le Gouvernement souhaite encourager encore davantage les acteurs du secteur agricole à y recourir.
Loi Alimentation : lutter contre la guerre des prix
Afin de lutter contre la guerre des prix, la Loi autorise le Gouvernement à prendre 2 mesures par Ordonnance, dans un délai de 4 mois à compter de la publication de la Loi, qui auront pour objet :
- d’une part, de relever de 10 % le seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, revendues en l’état au consommateur ;
- d’autre part, d’encadrer en valeur et en volume les promotions pratiquées sur des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie vendus aux particuliers : l’objectif est de faire en sorte de mieux rémunérer les agriculteurs et les PME agroalimentaires (le « 1 acheté 1 gratuit » sera interdit, en revanche le « 2 achetés 1 gratuit » restera possible).
Loi Alimentation : introduction d’une procédure de bilan concurrentiel sur les accords d’achat ou de référencement entre distributeurs
Il a été constaté qu’en quelques années, la structure de la distribution s’est considérablement concentrée, au point qu’il n’existe plus que 4 groupes de grande distribution. Ces derniers sont donc en position de force vis-à-vis des producteurs ou fournisseurs et leur imposent leurs politiques d’achat et de référencement.
Cette concentration ne s’est pas opérée par des fusions de groupe, mais par le biais d’accords entre groupes, destinés à assurer de manière groupée leur politique d’achat ou de référencement. Ces accords de coopération ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle préalable au titre des concentrations, et ne peuvent faire l’objet que d’un contrôle au titre des ententes anticoncurrentielles.
Pour remédier à cela, la Loi Alimentation crée une obligation de communication préalable à l’Autorité de la concurrence des accords de rapprochement à l’achat, au moins 2 mois avant leur mise en œuvre.
Cette obligation ne concerne que les entreprises dont les 2 conditions suivantes sont respectées :
- le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 10 milliards d’euros ;
- le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé à l’achat en France dans le cadre de ces accords par l’ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 3 milliards d’euros.
Loi Alimentation : publication des mesures de sanctions contre les pratiques commerciales trompeuses
Actuellement, un juge a la faculté d’ordonner que la condamnation d’une entreprise pour pratique commerciale trompeuse soit publiée, aux frais de l’entreprise condamnée.
Mais aucune mesure de publicité semblable n’existe pour les condamnations pénales sanctionnant les pratiques commerciales agressives.
La Loi Alimentation prévoit que le juge devra obligatoirement ordonner la publication de la condamnation pour pratique commerciale trompeuse. Cette mesure de publicité est étendue aux condamnations pénales pour pratiques commerciales agressives.
Loi Alimentation : clarifier et simplifier les relations commerciales
Le Gouvernement est également autorisé à prendre par Ordonnance, dans un délai de 6 mois à compter de la publication de la Loi, des mesures notamment pour :
- clarifier les règles de facturation et modifier les sanctions relatives aux manquements à ces règles ;
- préciser les dispositions relatives aux conditions générales de vente (CGV), en imposant notamment la formalisation par écrit, par le distributeur, des motifs de son refus d’acceptation de celles-ci ;
- simplifier et préciser les dispositions relatives aux conventions conclues entre fournisseurs et distributeurs ainsi qu’entre les fournisseurs et les grossistes ;
- simplifier et préciser la réglementation des ruptures brutales des relations commerciales ;
- élargir l’interdiction de céder à un prix abusivement bas des produits agricoles et des denrées alimentaires, tout en supprimant l’exigence tenant à l’existence d’une situation de crise conjoncturelle, et préciser notamment les modalités de prise en compte d’indicateurs de coûts de production en agriculture.
Loi Alimentation : une précision comptable à connaître
La Loi prévoit que le montant total des subventions reçues de l’UE, de l’Etat, de collectivités publiques ou d’établissements publics est porté à une réserve indisponible spéciale.
La Loi Alimentation est venue apporter une dérogation à ce principe : désormais, sur décision du conseil d’administration et dans la limite de 50 % de leur montant, ces subventions peuvent être classées comme produits au compte de résultat.
Loi Alimentation : la fin des quotas betteraviers dans l’UE
Depuis le 1er octobre 2017, il n’y a plus de quotas betteraviers au sein de l’UE, ce qui conduit actuellement à une forte modification de ce marché. En effet, la fin des quotas occasionne un surplus de production de betterave sucrière et donc de sucre, ce qui impacte le prix de la betterave sucrière et ses producteurs.
C’est pourquoi le Gouvernement devra remettre un rapport au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2020, sur les impacts de la fin des quotas betteraviers dans l’Union européenne en termes de construction du prix d’achat de la betterave sucrière.
Source : Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (articles 1 à 23)